Expliquer la douleur chronique MEDECIN ABONNE

Cet article est fortement inspiré du livre « Explain Pain Supercharger » écrit par G. Lorimer Moseley et Davis S. Butler

Le modèle biopsychosocial pour expliquer la douleur chronique

Ce modèle prend en compte l’individu dans son intégralité pour expliquer son état de santé et donc également la problématique de la douleur chronique. Il est décrit par le schéma suivant ( les items en bleu ne sont pas exhaustifs):

Le modèle biopsychosocial. Expliquer la douleur chronique

Douleur et nociception : ce n’est pas la même chose

Définition de la douleur : c’est une sensation et une expérience émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle ou décrites en ces termes

Définition de la nociception : La nociception est l’ensemble des processus permettant de coder, de transmettre et de traiter le message nerveux issu des nocicepteurs.

La définition de nocicepteurs est complexe : c’est un récepteur qui va, selon certaines conditions, envoyer des signaux électriques au système nerveux central lui indiquant une anomalie qui doit être considérer comme dangereuse, lésionnelle ou pré lésionnelle:

  • récepteurs polymodaux (terminaisons libres répondant à des stimuli variés)
  • mécanorécepteurs (déformation, pression)
  • chémorécepteurs (modification chimique)
  • Thermorécepteurs (température)

Il existe des récepteurs spécifiques qui répondent à  des stimulations intenses (chaud, froid, déformations, …) et des récepteurs sensitifs qui, dans certaines conditions, vont envoyer un message nociceptif.
Les récepteurs sensitifs habituels peuvent être sensibilisés par une inflammation locale, ou par des modifications du système nerveux central.

La différence entre douleur et nociception est importante

  • La douleur est toujours ressentie chez un être vivant, la nociception peut être déclencher sur une cellule en laboratoire
  • La douleur est ressentie quelque part, la nociception arrive quelque part ( ce n’est pas forcément le même endroit)
  • La douleur est ressentie, la nociception ne l’est pas.
  • Un message nociceptif n’entraine pas forcement de douleur et inversement un message sensitif peut entrainer de la douleur.

Notion de modulation du message nociceptif

  • La modification des conditions locales par les processus inflammatoires lésionnels ou neurogènes (d’origine nerveuse) modifient la réponse des nocicepteurs et récepteurs locaux aux stimuli.
  • Il existe un processus de sensibilisation médullaire capable de modifier le message nociceptif ou sensitif
  • Il existe un processus de sensibilisation centrale capable de  modifier le message nociceptif à  tous les niveaux de manière directe (Contrôle inhibiteur ou facilitateur descendant, système hormonal, système immunitaire,…). Ce qui nous ramène au modèles biopsychosocial.

La douleur chronique

Définition: au delà de 3 à 6 mois, la douleur persistante et rebelles aux traitements usuels est dite chronique.

Théorie sur la douleur chronique

  • La douleur est un protecteur et non pas une information.
  • La douleur existe par rapport à des évènements futurs et non pas passés.
  • Elle essaye de vous tenir en sécurité.
  • Elle apparaît lorsque les différents éléments du système nerveux (qui fonctionnent comme une matrice) sont plus en faveur de l’existence d’un danger pour vous que d’une sensation de sécurité pour vous ( Moseley GL et Butler DS. 2015. The explain pain handbook : Protectometer. Noigroup Publications : Adelaïde.).

Les éléments qui sont en faveur d’une danger sont des DIM et les éléments plutôt en faveur de la sécurité des SIM. Les DIM et les SIM sont modulés par des « neurotags » qui sont des éléments du réseau neuronal qui vont modifier dans un sens ou dans l’autres les DIM et les SIM. Le traitement de la douleur chronique va s’attacher à modifier ou à créer des neurotags afin de diminuer les DIM et renforcer les SIM. Il existe deux types de neurotags : ceux qui exercent une action au delà du cerveau (muscles, nerfs, état de conscience, etc…) et ceux qui exercent une action uniquement centrale (connaissance, ressenti, etc…). (Wallwork SB et al.(2015). Neural representations and the cortical body matrix : implications for sports medicine and futur directions. Br J Sports Med. Dec 2015. doi : 10.1136/bjsports-2015-095356.).

Ces différents éléments nous amènent sur une dizaine de concepts expliquer dans « Explain pain supercharged de G. Lorimer Moseley et David S. Butler 2017. p 128. Edition Noigroup. »

  •  La douleur est normale, personnelle et toujours réelle. La douleur est une expérience normale et est une excellente , même si elle est désagréable, à ce que votre cerveau considère comme une situation dangereuse.
  •  Il existe des capteurs de danger et non des capteurs de douleur. Le système d’alarme de danger n’est que ça. Il n’y a pas de capteur de douleur, de voie de la douleur ou une cible de la douleur.
  • Douleur et lésions tissulaires sont rarement complètement liées. La douleur n’est pas un indicateur fiable de la présence et de l’extension de lésions tissulaires. L’un peut exister sans l’autre.
  • La douleur dépend de la balance entre danger et sécurité.  Vous serez douloureux si votre cerveau conclu qu’il y a une situation qui, à l’évidence, est plus dangereuse que  sure pour vous même, il en déduit la nécessité de se protéger.
  • La douleur entraîne une activité cérébrale diffuse. Il n’existe pas un centre cérébral de la douleur. La douleur est une expérience sensorielle consciente qui implique de nombreuses aires cérébrales à travers le temps.
  • La douleur dépend  du contexte. La douleur peut être influencer par les choses que vous voyez, sentez, entendez, gouter ou toucher, par les choses que dites ou que vous croyez, par les choses que vous faites ou les lieux que vous visitez ou les personnes que vous croisez ou connaissez et enfin par ce que vous ressentez dans votre corps.
  • La douleur est un système défense parmi d’autres. Quand il est menacé, le corps est capable d’activer de multiples systèmes de protection : les systèmes immunitaire, endocrine, moteur, nerveux autonome, respiratoire, cognitif, émotionnel et la douleur. N’importe lequel de ces systèmes peut devenir surdimensionné et donc inadapté.
  •  Nous sommes bioplastique. Alors que tous les système peuvent s’activer et s’exciter, la notion de bio plasticité suggère qu’ils peuvent revenir en arrière, au décours de la vie. Il est biologiquement impossible de penser que la douleur ne peut pas changer.
  • Apprendre comment fonctionne la douleur peut aider les individus et la société. Apprendre comment fonctionne la douleur est une thérapie. Quand vous comprenez pourquoi vous souffrez, vous souffrez moins (Mosely GL (2009) Explaining pain to patients- recent developments. Proceedings of the New Zealand Pain Society. Annual scientific meeting.).  Si vous avez un problème de douleur, vous n’êtes pas seul, des millions de personnes en ont également un. Mais il y a beaucoup de chercheurs et cliniciens qui travaillent pour trouver comment vous aidez.
  • Des stratégies thérapeutiques actives favorisent la guérison. Une fois que vous avez compris votre douleur, vous pouvez commencer à la prendre en charge, explorer différentes façons de bouger, améliorer vos capacités physiques, manger mieux, dormir mieux, casser les DIMs, trouver les SIMs et progressivement faire plus.

Prise en charge de la douleur chronique

(Cette partie de l’article ne provient pas des auteurs précités)

Une fois que l’ont à parler de toutes ces informations sur la douleur chronique on peut commencer à apercevoir ce qui peut être mise en place dans le traitement de la douleur chronique, en effet différentes portes d’entrée « modulatoires » peuvent ainsi être mise en oeuvre. Ces modulations peuvent toucher :

Les afférences (sensitives, motrices nociceptives)

  • Kinésithérapie : différentes prises en charge sont possibles et non exclusives. Renforcement, massage, étirement passifs ou actifs, Ktape,  dermoneuromodulation, etc…
  • Ostéopathie
  • Décharge (immobilisation, arrêt d’appuie d’un membre)
  • Traitement de l’inflammation locale (voie locale ou générale)
  • Cryothérapie
  • Anesthésie locale
  • Anesthésie locorégionale (anesthésié de tout ou partie d’un membre)

Intégration inconsciente de la douleur

  • Traitement médicamenteux (antalgiques, antiépileptiques, anti-dépresseur)
  • Neurostimulation cutanée (par des electrodes coller sur la peau), auriculaire (par une electrode appliquer dans le conduit auditif de l’oreille gauche)
  • Neurostimulation médullaire (par des electrodes places dans la colonne vertébrale capable de stimuler la moelle épinière en regard)
  • Neurostimulation magnétique transcrânienne (utilisation de bobine en surface du crane capable de stimuler le cortex cérébral)(en cours d’évaluation)
  • Magnétothérapie (traitement de 30 à 40 minutes sur un tapis envoyant des ondes magnétiques)

Intégration consciente de la douleur

  • Hypnose
  • Imagerie mentale
  • Méditation en pleine conscience

Perception du corps

  • Thérapie en miroir
  • Stimulation vestibulaire
  • Réalité virtuelle (en cours d’évaluation)

Comportement

  • Thérapie cognitivo- comportementale
  • EMDR (Eye movement desentization and reprocessing)

Commentaires

Cette liste de techniques de prise en charge est bien évidemment non exhaustive. Mais l’on peut déjà en tirer quelques commentaires :

  • La prise en charge de la douleur chronique est complexe et nécessite donc une prise en charge multidisciplinaire. Cette prise en charge pour être cohérente est au mieux gérer par un médecin algologue qui dot devenir le « chef d’orchestre » de cette prise en charge
  • Les différentes techniques décrites ne sont pas pour la plupart prise en charge financièrement par les systèmes de sécurités sociales et les mutuelles de santé. Les patients douloureux chroniques sont souvent peu à l’aise financièrement de part leur pathologie. Les budgets alloués à ces prises en charge doivent donc être alignés sur le cout d’intervention des différents praticiens de ces techniques.
  • De nombreuses réponses sur la physiopathologie de la douleur chronique manquent encore, une intensification de la recherche clinique et fondamentale est nécessaire pour améliorer la prise en charge de nombreuses pathologies douloureuses chroniques ce qui permettra, à termes, de préciser les techniques les plus adaptées pour chaque patient, de raccourcir les prises en charge, de diminuer le cout humain et social de ces pathologies.

Dr Yves Guenard

 

 

 

 

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